Idéal

Prologue – Le vide
Le salon était éclairé par la lumière bleutée de la télévision. Ses parents parlaient, s’énervaient parfois, mais rarement pour lui. C’étaient des voix de fond, comme un poste de radio mal réglé. Sur la table, son téléphone restait immobile. Pas de vibrations. Pas de notifications. Ses derniers messages, envoyés deux jours plus tôt à ses “amis”, n’avaient reçu aucune réponse.

Il s’allongea sur son lit, fixant le plafond. Le silence n’était pas apaisant : il était lourd, pesant, presque bruyant. Il avait seize ans, et il se sentait déjà vieux de solitude.

« Il y a plus de vie dans le silence que dans mes échanges », pensa-t-il.

Chapitre 1 – La prière muette
La nuit tombait. Ses parents riaient dans le salon à une blague qu’il n’avait pas comprise. Lui, enfermé dans sa chambre, sentait son cœur battre trop vite. L’anxiété venait en vagues, comme un souffle glacé sous sa peau.

Alors, maladroitement, il murmura :
— S’il existe quelque chose, quelqu’un, écoute-moi… donne-moi un ami. Pas pour me sauver, pas pour me faire rire, juste… pour être là.

Il répéta sa “prière” plusieurs fois. Pas vraiment religieuse. Pas vraiment rationnelle. Juste une supplique lancée dans le vide.

Le lendemain, tout était identique. Pas de miracle. Les mêmes rires des parents. Les mêmes silences des amis.

Mais au lieu de se résigner, il eut une idée étrange. Il tira une chaise et la posa en face de lui. Puis, d’une voix tremblante, il dit :
— Salut.

La chaise ne répondit pas. Mais il eut moins peur, étrangement.

Chapitre 2 – La chaise vide
Au début, il se sentit ridicule. Parler à une chaise vide… Si quelqu’un entrait, il serait la risée de tous. Mais il insista.

— Tu ne parles pas beaucoup, hein ?
Silence.

— Ce n’est pas grave. Peut-être que j’avais juste besoin de ça : quelqu’un qui écoute.

Petit à petit, il inventa des réponses dans sa tête. Ce n’étaient pas vraiment des mots. Plutôt des impressions. Une écoute calme, sans jugement. Une présence invisible.

Chaque soir, la chaise devenait son rituel. Elle se transforma en miroir, en confident silencieux.

Chapitre 3 – Le compagnon intérieur
À force d’imaginer, la silhouette se précisa. Dans sa tête, il n’était plus seul face à une chaise : il voyait un homme. Pas beaucoup plus âgé, mais suffisant pour inspirer le respect. Quelques années de plus, un visage apaisé, des gestes calmes.

Il lui donna des traits : une voix grave mais douce, un regard droit, des épaules détendues. Il ne parlait pas beaucoup, mais quand il parlait dans son imagination, ses mots résonnaient comme des vérités.

— Relève la tête. Respire. Tu n’as rien à prouver, sinon à toi-même.

Chaque jour, il essayait de lui ressembler. Il marchait plus lentement. Rangeait un peu mieux ses affaires. Parlait moins vite. Souriait parfois, même sans raison. C’était discret, mais quelque chose changeait.

Chapitre 4 – La fracture
Un soir, son père s’énerva.
— Tu ne fais jamais rien correctement ! Regarde ta sœur, au moins elle, elle réussit !

Avant, il aurait crié ou pleuré. Mais cette fois, il se contenta de respirer profondément. Dans sa tête, il entendit son compagnon :
— Ce qu’il dit n’est pas toi. Ce qu’il dit est sa peur.

Alors il resta calme. Son père s’énerva davantage, mais lui sentit une fierté étrange. Il n’était plus une victime. Il avait une arme invisible : la paix qu’il copiait sur cet “ami imaginaire”.

La même semaine, ses amis l’ignorèrent encore. Ses messages restèrent sans réponse.

Une nuit, envahi par l’angoisse, il posa sa main sur la chaise.
— Tu es là, n’est-ce pas ?

Dans son esprit, la présence fut plus forte que jamais.

Chapitre 5 – Le jardin
Un après-midi, il sortit marcher pour échapper au bruit de la maison. Il traversa des rues grises, sans but, jusqu’à tomber sur un petit jardin public. Presque désert. Une seule balançoire grinçait doucement dans le vent.

Il s’assit sur un banc. Ferma les yeux. Il osa parler à voix haute, comme un fou :
— Tu m’as aidé, mais je ne sais même pas ton nom.

Un long silence. Puis, une voix intérieure, claire, calme, résonna dans son esprit :
— Mon nom est Idéal.

Ses yeux s’ouvrirent, humides. Il ne sut pas s’il avait inventé le mot ou s’il l’avait reçu comme un cadeau. Mais il savait que ce nom allait rester.

Chapitre 6 – Le choix
À partir de ce jour, il consulta Idéal pour ses décisions.

En classe, quand il hésitait à lever la main, Idéal lui disait :
— Ose. Même si tu te trompes, tu avances.

Quand quelqu’un se moquait de lui, Idéal murmurait :
— Réponds avec ton silence. La dignité est plus forte que le sarcasme.

Chaque jour, il gagnait un peu de courage. Un sourire en plus. Une remarque en moins. Une posture plus droite. Il devenait, peu à peu, celui qu’il admirait.

Chapitre 7 – La lumière dans les yeux
Un camarade finit par lui dire un jour :
— T’as changé… on dirait que tu sais quelque chose qu’on ignore.

Il haussa les épaules. Il ne pouvait pas expliquer. Ses parents aussi le remarquèrent :
— Tu es plus calme, plus mature… qu’est-ce qui s’est passé ?

Il ne répondit pas. Parce que ce n’était pas eux, ni les autres. C’était lui. Lui et Idéal.

Épilogue – Idéal
Des mois plus tard, il retourna dans le petit jardin. Le banc l’attendait. Les arbres bruissaient doucement. Il s’assit. Ferma les yeux. Il n’avait plus besoin de parler à voix haute. Idéal était en lui, partout, toujours.

Il avait prié pour un ami. Il avait trouvé mieux : une boussole.